Anecdotes de gamers
Une fois par mois un joueur expérimenté (de la catégorie des passionnés les plus vifs ) nous fait revivre une licence, un jeu marquant, une console... autour de ses souvenirs personnels, d'anecdotes inédites et autres petits plus qui forgent le style et la passion. Ce mois-ci, en ce soir d'Halloween, c'est Arthur MaSQue Meurant qui s'y colle... et comment !
Certains jeux ont la particularité de
faire partie de notre personnalité. Par un hasard improbable de chimie et de
circonstances nous les avons croisés à une époque propice à l'assimilation de
leurs héritages ludiques par notre code génétique. La plupart de ces rencontres
prennent place lors de notre tendre enfance et cela qu'elle l'ait été ou pas.
Petiot(e)s, nous étions aisément malléables aux divers défis improbables que
ces titres d'une violence parfois barbare avaient décidé de nous infliger.
C'est le souvenir de ces victoires pyrrhiques que j'ai décidé de vous conter.
Je
peux diviser avec aisance mon existence en deux moments distincts : un monde
sans Castlevania et un monde où je suis pleinement conscient du fait que
l'intégralité de ma puissance personnelle ne suffira à pas gagner car je me
bats contre l'immortel. C'est une réalisation assez violente à se prendre en
pleine face. Surtout à huit ans. Beaucoup de gens attendent la trentaine pour
jeter un regard un brin désolé sur leur vie. Peut-être que leur couple ne
fonctionne pas ou que leur chien est malade. Sont-ils insatisfaits de leur
existence? Espéraient-ils mieux de leur parcours? Mais que vais-je manger ce
soir qui ne me rapproche pas inexorablement de la tombe? Des trucs de ce style.
Moi, j'ai eu ce sentiment d'impuissance totale dès l'âge très viril de huit
ans. Je me souviens très bien où cela m'est tombé sur le coin du crâne.
Deux
amis quelconques perdus sur la surface d'une planète indifférente. Je crois que
c'était un samedi. Comme à l'accoutumée nous étions en train de jouer sur une
petite télé placée dans la cuisine à ce dispositif d'une puissance considérable
qui organisa les loisirs vidéoludiques de toute ma génération : la NES. Le jeu
vidéo a toujours fait partie du registre d'activités que j'associe avec
l'amitié. Rivalité, camaraderie, beaucoup de des sentiments divers et épars
peuvent être arbitrés par les cliquetis du joypad. Et c'est poussé par un brin
de curiosité que mon pote Machin - ne riez pas, c'est son vrai prénom - a jugé
judicieux de m'infliger l'improbable Malédiction du Clan Belmont. Voyez-vous,
aujourd'hui comme maintenant, mes proches m'ont toujours vu comme "le
joueur". Ils s'attendent à ce que je puisse les conseiller sur les achats
à effectuer, les machines à éviter, les curiosités qui pourraient leur parler
et surtout… à ce que je les débloque quand ils sont face à l'impossible. Hey,
c'est une niche sociale ridicule; mais c'est la mienne.
Pour
être très franc, je serai très déçu si jamais une représentation de la mort en
pixel-art ne vient pas me chercher sur mon lit de souffrance afin de m'offrir
un dernier duel. Ce serait assez juste d'un point de vue métaphysique que l'on
puisse choisir sa dernière hallucination mystique. (Vous savez, pour ce que
j'en comprends, certains voient Batman dans un délire digne des meilleurs
antidépresseurs). Et quitte à choisir je crois que comme ultime altercation
l'on peut difficilement faire mieux que la mort. Surtout sur Pong, c'est une
championne. Croyez-moi.
Ce
n'est qu'une dizaine d'années plus tard que j'ai vu Dracula. Par pur dépit,
d'ailleurs. Mon but à cette époque n'était pas réellement de finir Castlevania.
Je crois qu'une partie de mon être savait que pareille victoire me serait
toujours impossible à obtenir à la régulière. Mais depuis, le monde avant
changé. Tricher était devenu okay. Le peuple de l'internet commençait à
applaudir à pleines mains les exploits de joueurs qui à vaincre sans péril
triomphaient sans gloire. Ces aventuriers modernes du speed-run - format de
vidéo facile à monétiser sur internet car ses matières premières sont offertes
dans le domaine public - avait rendu
tolérable l'idée d'user de save-states pour arriver à ses fins. Il m'était
parfaitement possible de faire semblant d'être capable d'atteindre Dracula sous
ces conditions si particulières sans avoir l'air d'un funiculaire. De plus, le
temps passant, j'étais à la recherche de ma revengeance. Les conditions étaient
posées, j'étais motivé; le rituel pouvait commencer.
Pour ceux ou celles qui ne savent pas ce dont il est question Castlevania est le nom choisi par les japonais de Konami pour le Château à partir duquel Dracula tyrannise les Carpates depuis 1986. C'est un endroit charmant, avec des jardins un peu carrés, des tours à pertes de vue, une infestation gothique constante de méduses et surtout… des bougies. Selon la théorie populaire elles contiennent les âmes des héros venus tenter de défier le Monarque de la Nuit. Et indiquent la présence d'une certaine sympathie chez celui-ci pour l'art ancestral du cirier, ce qui est plus qu'inattendu. Parcourir les couloirs de cette ancienne bâtisse donne une idée du demeuré qui y réside. Entre les flaques mortelles, les rouages horlogers, les squelettes vindicatifs et l'architecture; l'on sent une envie certaine de vous voir périr dans les pires circonstances.
Sans surprise, c'est précisément ce qui est arrivé. Faut pas croire, malgré sa réputation, le Comte est bon. En plus, il a l'habitude de toujours avoir l'avantage de jouer à domicile. Vous pouvez dire ce que vous voulez sur le type, il ne risque pas de se ridiculiser en déplacement : il ne se déplace pas. Vous voulez le défier? Ce sera chez lui, dans sa chambre à coucher. Dans la plupart des cas il ne fera même pas l'effort de se changer. (N'allez pas penser que cet ample tissu parfois pourpre dont il se recouvre tout le temps soit une cape; non, c'est sa robe de chambre). Mon erreur principale lors de ce pèlerinage fut de tenter l'aventure via la Virtual Console de la Wii. Malgré mon expérience - de plus d'une décennie - j'avais sous-estimé la malveillance de l'ancienne bâtisse.
Revenons là où nous en étions il y à de cela quelques années par le pur pouvoir de la pensée. Si par miracle vous arrivez à survivre au Couloir de La Mort vous aurez encore à vous défaire de celle-ci sur la même barre de vie. Je me souviens avec une extrême acuité de l'heure que j'ai passée à tenter de comprendre comment naviguer ces quelques mètres disposés en enfilade. C'est à mon sens l'un des passages les plus compliqués des eighties en termes vidéoludiques. Vous devez non seulement vous défaire d'une série d'ennemis vachards de la pire espèce mais en plus vous devez accomplir cet exploit tout en évitant avec une précision de métronome les trajectoires sinusoïdales des méduses égrenées à divers intervalles par le bord de l'écran. Exercice improbable qui pourrait sembler possible pour peu que vous soyez engoncé dans la peau d'un héros de jeu vidéo compétent dans son domaine d'application.
Simon Belmont, car tel est son nom, est l'un des protagonistes les plus ineptes de l'histoire du jeu vidéo. Faible guerrier à l'arme ridicule - il faut être assez loin dans son propre trip pour se battre contre un vampire armé d'un fouet - il est de plus affublé d'une démarche mal assurée digne de celle d'un septuagénaire arthritique. Allergique aux chauve-souris, lent, faible, incapable de la moindre preuve d'agilité. Il est presque impossible de comprendre comme sa lignée à pu perdurer malgré le fait qu'il en soit l'un des membres les plus prestigieux. Imaginez donc devoir vous la jouer Ryu Hayabusa aux commandes de pareil guerrier dans un espace exigu.
C'est
à ce stade que le jeu devient torture. Par une pure opération mathématique les
créateurs du jeu ont jugé judicieux de rendre les armures dont je vous cause
depuis toute à l'heure extraordinairement résistantes. De mémoire, il faut
environ huit coups pour se défaire d'un seul exemplaire. Et vous pouvez compter
sur trois armures situées en rapide succession. La présence d'objets violents
aisément identifiables dans l'air ambiant rend tout ceci plus qu'improbable.
Par miracle, et par un pur effort de surpuissance disciplinée, il est possible
de survivre. (Pensez aussi à jouer sur émulateur, si jamais cela ne va pas. On
ne sait jamais que vous deviez en passer par la case sauvegarde entre chaque
ennemi. Oui, votre honneur en prendra un coup. Mais bon, certains plats se
mangent froids.
J'avais prévu ce duel avec une minutie extrême analysant sur
internet diverses stratégies viables pour survivre à ce bastringue. Une
certitude se dégageait de mes études : vaincre était possible pour peu que
j'évite de laisser la faucheuse décider de la vitesse du conflit. Sa technique
est simpliste, elle occupe l'espace par la taille de son corps et se sert d'une
attaque à base de faux activées par le pouvoir ancestral de la télékinésie. Un
truc à la Musclor. Ma théorie, pas beaucoup plus compliquée, consisterait à
éviter celles-ci tout en les fouettant au fur et à mesure de leur apparition.
Quand les conditions seraient propices, une pleine attaque frontale à grands
renforts de petits cœurs devrait faire l'affaire. Comme j'étais naïf…
Aucun
degré de préparation ne peut présager la violence d'une rencontre à la loyale -
ou presque, je comptais sur la Virtual Console pour me ramener au début du niveau
en cas de pépin - contre l'émissaire de l'extinction. Le combat fut brutal. Et
court. Très court. La préparation mentale esquissée auparavant? Disparue. La
confiance intrinsèque dans le plan? Evaporée. Seule restait La Mort. Tenace
petite saloperie qui flotte entre des piliers de granit. Des faux
fantasmatiques comme seul arsenal. Le tout pris moins de dix secondes, je
n'avais tout simplement pas assez de vie pour prétendre apprendre ces
mouvements. C'est bien là toute la veule vélocité de cette forme malsaine de
combat : vous êtes forcément amoindri par le chemin parcouru afin d'en arriver
là. Tout a été savamment pensé pour prédire votre calvaire et y mettre de fin
de la plus violente des manières. Nous étions en 2008 et je n'avais décidément
pas dit mon dernier mot. Car je savais qu'il restait une dernière limite
d'avilissement à franchir afin de mettre fin à cet enfer.
Cette
année, pris de de vingt ans après ma première confrontation, j'ai décidé qu'il
était temps de cesser de finasser. En y réfléchissant posément j'avais élucidé
les raisons de mon échec : ce jeu est construit par des enfoirés sadiques de la
dernière eau. Il était temps de répondre au feu par le feu. Fini l'idée
fantasque d'y arriver comme l'un des prodiges de l'ère NES. Nous allions passer
en force, jouer de tous les artifices. En bref, être aussi profondément vicieux
que les bestiaire du Comte. Mon nouveau plan de bataille, infaillible autant le
préciser, incorporait les derniers développement de la scène rétro. Sauvegarde
automatique à chaque point dangereux, repérage préliminaire en regardant les
grands spécialistes de la discipline et surtout : aucune forme de honte morale
face à la tâche à accomplir. Ca y est, j'étais moderne.
Après
avoir vaincu La Mort, il ne restait plus que son protégé à ajouter à mon carnet
de bal. Cela aussi fut assez aisé. Faut pas croire, les monstres à sang froid
ne peuvent rien contre ceux au sang bouillant. Quelques petits sauts, quelques
petits coups de fouets en pleine poire; transformation en démon. Petits
bâillements réprimés. Quelques coups supplémentaires. Et vogue la galère : Vlad
Tepes avait été envoyé ad patres. Ma machine, ici émulée, émettait les sons
cristallins de la joie du peuple roumain trop longtemps réprimé. La légende
avait été accomplie. Ou presque. Du pont-levis à l'antichambre du suceur de
sang, le tout m'avait pris un peu plus d'une heure. Enfin, et une vingtaine
d'années. Parfois, j'me demande encore si j'ai gagné.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire